La Coupe du monde 2018 a démarré en Russie, et le monde entier est maintenant rivé à son poste de radio, de télévision, ou à son ordinateur pour vivre chaque arrêt, chaque but, chaque victoire et chaque défaite. Si l’excitation est à son comble, certains pensent déjà à l’avenir, à 2022 et au-delà. L’organisation et l’accueil d’un événement tel que la Coupe du monde est une entreprise colossale, comme le savent bien la FIFA, instance dirigeante du football mondial, l’OCDE, et jusqu’aux électeurs du canton suisse du Valais.
Le 30 mai dernier, peu avant la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde à Moscou, et alors que la capitale française entamait les préparatifs pour accueillir les Jeux olympiques de 2024, les ministres ont approuvé la Recommandation du Conseil de l’OCDE sur les manifestations internationales et le développement locallors de leur réunion annuelle à Paris. Ce document de l’OCDE propose un plan pour l’organisation de manifestations à durée limitée mais de portée internationale, qu’il s’agisse d’expositions, de festivals culturels ou de grandes compétitions sportives. L’accueil de grandes manifestations peut servir de catalyseur pour des progrès sociaux et économiques ; les responsables politiques doivent veiller à en optimiser les recettes et à en évaluer de façon transparente et appropriée les retombées sur les populations locales et l’environnement. Cette recommandation de l’OCDE, la première du genre, pourrait y concourir. D’après le Secrétaire général, M. Angel Gurría, elle vise en effet à encourager des investissements pertinents et rentables pour favoriser la création d’emplois et une gestion transparente. Les organisateurs doivent s’assurer que les bénéfices sont partagés « avant, pendant et après les manifestations ».
Les préparatifs de chaque Coupe du monde, et plus encore des Jeux olympiques, se révèlent problématiques. Les pays aspirant à accueillir ces manifestations subissent la pression de leurs citoyens, qui souhaitent avoir leur mot dire sur les candidatures. Boston, par exemple, faute du soutien populaire, a dû retirer sa candidature aux Jeux olympiques de 2024. En juin 2018, les électeurs du canton du Valaisont de nouveau rejeté la proposition d’organiser les Jeux olympiques d’hiver. La Suisse héberge certes le siège du Comité international olympique, mais ses citoyens (ou du moins, les Valaisans) ne souhaitent pas pour autant être de la partie. Les opposants avaient pour slogan : « Trois semaines de fête, 30 ans de dettes ».
Cette tendance pourrait se poursuivre. Chak Hee Anh, responsable du pôle international au journal coréen JoongAng Ilbo, a ainsi souligné que « les pays sont de plus en plus nombreux à reconsidérer l’organisation des manifestations de telle ampleur, qui peuvent être source de bouleversements », lors du Forum de l’OCDE 2018, débat international sur les politiques publiques organisé en parallèle de la Réunion ministérielle.
Les raisons à cela ? Tout d’abord, le coût. Le budget des Jeux olympiques et des Coupes du monde a tendance à gonfler au fur et à mesure du temps. « Il est assez facile de dépenser plus d’argent que prévu », a expliqué Cesar Cunha Campos, directeur exécutif de FGV Projetos, au même Forum de l’OCDE. Au Brésil, en 2016, « pour les Jeux paralympiques, le budget figurant au dossier de candidature était de 400 millions USD et nous avons dépensé 2 milliards USD ; pour le volet olympique, il était de 17 milliards USD et nous en avons dépensé 29. Il faut donc être prudent. »
Officiellement, la facture de la Coupe du monde 2018 en Russie dépasse déjà le budget prévu, avec un montant de 11,8 milliards USD, certains l’estimant même à 14,2 milliards USD, ce qui ferait de cette coupe la plus chère de tous les temps. Ces chiffres sont pourtant balayés par les coûts des Jeux olympiques d’hiver de Sotchi et ceux d’été de Beijing, qui ont tous deux franchi la barre des 50 milliards USD. Le Qatar pourrait, quant à lui, battre tous les records pour la Coupe du monde de 2022.
Vient ensuite le retour sur investissement. L’histoire de ces deux compétitions est parsemée de fiascos. Les Jeux de Montréal (1976) fournissent le parfait exemple d’infrastructures mal conçues : l’aéroport inutile de Mirabel, aujourd’hui seulement utilisé pour le fret, ou le stade olympique démesuré, surnommé le « Big Owe » (le « Grand Dû »), qui malgré son peu d’activité continue d’aspirer l’argent public. À Brasilia, le stade Mané Garrincha, d’une capacité de 72 000 personnes, a été rénové pour un montant de 500 millions USD en vue de la Coupe du monde 2014 et du tournoi olympique de football en 2016. Il n’est aujourd’hui utilisé par aucune grande équipe de football, et son parking sert de garage aux bus municipaux. Lors des Jeux olympiques de 2012, Londres s’était engagée à construire un stade dédié à l’athlétisme, même s’il était peu probable qu’il trouve une utilité par la suite. Le comité chargé de l’héritage des Jeux le loue maintenant à West Ham, club de Premier League, qui demande la transformation des équipements d’athlétisme pour que l’environnement soit plus adapté au football.
Les dirigeants locaux s’inquiètent quant à leur capacité à entretenir ces nouvelles infrastructures flambant neuves. La Russie a dépensé entre 3,5 et 4,7 milliards USD pour les stades en vue de la compétition opposant 32 équipes. À Sotchi, il a fallu réaménager le stade Ficht, dont la construction avait coûté 770 millions USD pour les Jeux olympiques d’hiver de 2014. Qu’en sera-t-il du retour sur investissement ? Début juin, lors de son entretien téléphonique annuel avec les gouverneurs régionaux retransmis à la télévision, le président Vladimir Poutine a déclaré que les stades devraient être « autosuffisants », bien qu’il ait explicitement écarté l’idée qu’ils soient convertis en marchés aux puces, comme c’est parfois le cas depuis la chute de l’Union soviétique.
La Coupe du monde 2018 est peut-être la dernière à compter uniquement 32 équipes, ce qui soulève également des questions. La FIFA prévoit depuis longtemps la participation de 48 pays en 2026, ce qui gonflera l’enveloppe distribuée aux États membres, mais aussi leurs chances de participer à la compétition. Lors du congrès tenu à Moscou avant la Coupe du monde, les membres de la FIFA n’ont finalement pas tranché sur la question pour 2022. Ils ont suivi la recommandation des inspecteurs de rejeter la proposition du Maroc d’accueillir autant d’équipes en 2026, lui préférant le trio États-Unis – Mexique – Canada.
Si l’ampleur de la Coupe du monde est maintenant telle que les États-Unis ne peuvent plus l’accueillir à eux seuls, où allons-nous ?
Au coût et à la taille s’ajoutent d’autres problèmes. Les entreprises doivent adopter un comportement responsable, s’agissant notamment de l’application des normes de travail, qui ont été sérieusement mises en cause lors des préparatifs de la Coupe du monde au Qatar.
La recommandation de l’OCDE, qui appelle à respecter les droits des travailleurs, constitue une avancée positive. Cet instrument peut aider les pays, régions ou villes organisatrices, mais aussi les partenaires de ces manifestations internationales, à mieux prendre en compte les besoins locaux et à placer le citoyen au cœur de leurs projets, ainsi qu’à produire des effets bénéfiques dans la durée. En améliorant la conception et la mise en œuvre de ces manifestations, et en gérant leurs retombées de manière éclairée, nous pourrions nous concentrer sur ce qui nous réunit dans le sport, tel que ces moments partagés au coup d’envoi d’un match ou au départ d’une course.
Comme l’a rappelé le joueur de tennis paralympique français Michaël Jérémiasz, qui participait au Forum de l’OCDE, ces manifestations sont « bien plus que quelques semaines de sport ». Elles représentent une source d’inspiration et nous rappellent que nous faisons tous partie de l’humanité.
Par Peter Berlin, correspondant pour L’Observateur de l’OCDE
Article paru sur ©L’Observateur de l’OCDE, juin 2018
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