Ecrit par Imane Bouhrara I
Au regard de la Constitution, les attributions des juridictions financières couvrent le contrôle des finances publiques et de protection des principes de bonne gouvernance, de transparence et de reddition des comptes. Il existe trois types de responsabilités devant les juridictions financières. La responsabilité managériale (contrôle de la gestion), la responsabilité pécuniaire et personnelle en matière de vérification et jugement des comptes (VJC) et la responsabilité personnelle / professionnelle en matière de discipline budgétaire et financière (DBF). Le régime de la responsabilité devant les juridictions financières a été la thématique d’une conférence animée par Dr Brahim Ben Bih, Procureur Général du Roi près la Cour des comptes. Détails.
« Le régime de la responsabilité devant les juridictions financières : État et perspectives », c’est la thématique de la conférence organisée par l’ISPJS/Mundiapolis avec comme invité Dr Brahim Ben Bih, Procureur Général du Roi près la Cour des comptes.
D’emblée, l’intervenant annonce que le contexte historique d’instauration du contrôle supérieur des finances publiques est dicté par les exigences de la bonne gouvernance, de la transparence… avec la création en 1979 de la Cour des comptes érigée en institution constitutionnelle en 1996, jusqu’à la promulgation du Code des juridictions financières en 2002 et l’élargissement de leurs attributions par la Constitution de 2011.
Si dans le monde, il existe deux modèles de contrôle supérieur des finances Publiques, l’anglosaxon basé sur le bureau du vérificateur et dont le contrôle est assuré par des organismes composés de professionnels en matière comptable et le modèle juridictionnel latin répandu en Afrique modèle basé sur les Cour des comptes pour assurer le contrôle Supérieures des Finances Publiques au niveau de l’État et des collectivités territoriales.
Au niveau national, le modèle marocain présente une dualité de la nature et de la forme avec des Attributions juridictionnelles, notamment la vérification et jugement des comptes et des compétences répressives, aboutissant à des Décisions juridictionnelles dont des sanctions financières en cas d’infractions ; et des attributions extra-juridictionnelles notamment le contrôle de gestion, d’emploi des fonds publics Assistance au Parlement et au Gouvernement et aux instances judiciaires… sanctionnées par des rapports particuliers et des recommandations.
La complémentarité entre les attributions juridictionnelles et extra-juridictionnelles posent les jalons d’une approche du contrôle intégré qui in fine vise l’amélioration de la gestion publique à travers les observations et recommandations, les sanctions et les rapports d’assistance et de consultation.
Après cette présentation, Dr Brahim Ben Bih a détaillé le champ du régime de responsabilité devant les juridictions financières en rappelant la prédominance du principe de séparation des ordonnateurs et des comptables publics et des règles de la comptabilité publique.
Il rappelle d’ailleurs que dans le cadre des réformes actuelles en matière des finances publiques, la tendance est vers la prédominance de la notion de gestionnaire public sur la qualité de l’ordonnateur. La définition du comptable de fait et des effets qui en découlent, ainsi que les Irrégularités engageant la responsabilité en matière de vérification et jugement des comptes (VJC) ont également été explicités à l’assistance composée de magistrats, procureurs, juristes, professeurs et étudiants.
La conférence, pour ne pas dire le cours magistral prodigué par Dr Brahim Ben Bih, a été l’occasion d’expliciter les trois types d’infractions ( financières ou administratives) engageant la responsabilité en matière de discipline budgétaire et financière.
A commencer par l’infraction formelle, celle matérialisée par une infraction aux règles et textes de lois et qui consiste à :
- Enfreindre les règles d’engagement, de liquidation et d’ordonnancement des dépenses publiques ;
- Enfreindre la réglementation des marchés publics ;
- Enfreindre la législation et la réglementation relatives à la gestion des fonctionnaires et agents ;
- Enfreindre les règles relatives à la constatation, à la liquidation et à l’ordonnancement des créances publiques ;
- Enfreindre les règles de recouvrement des créances publiques ;
- Enfreindre les règles de gestion du patrimoine des organismes soumis au contrôle de la Cour ;
Le deuxième type d’infractions commises de manière volontaire englobe trois actions engageant la responsabilité en matière de DBF. Il s’agit notamment de :
- Imputer irrégulièrement une dépense en vue de permettre un dépassement de crédits ;
- Dissimuler des pièces ou produire aux juridictions financières des pièces falsifiées ou inexactes ;
- Omettre, en méconnaissance ou en violation des dispositions fiscales en vigueur, de remplir les obligations qui en découlent en vue d’avantager indûment des contribuables ;
Et enfin les infractions de fait pour avoir procuré à soi-même ou à autrui un avantage injustifié en espèces ou en nature; ou pour avoir causé un préjudice à l’organisme public au sein duquel la personne exerce des responsabilités, par des carences graves dans les contrôles qu’elle est tenue d’exercer ou par des omissions ou négligences répétées dans son rôle de direction.
Comme le rappelle, le Procureur Général du Roi près la Cour des comptes, la responsabilisation tend à garantir la régularité de la gestion financière publique, à la moralisation de la vie publique (responsabilisation pour la procuration des avantages injustifiés) ; à la mise en place et la consolidation d’un dispositif de contrôle interne efficace tout en assurant la promotion de la culture de bonne gestion.
Ce tableau bien dressé, il s’agit dans un deuxième temps de s’attarder sur la mise en œuvre du régime de la responsabilité et les règles d’imputabilité, selon qu’il s’agisse de discipline budgétaire et financière (Procédure accusatoire d’une allure pénale) ; ou de vérification et jugement des comptes (Mission d’ordre public), avec des caractéristiques communes entre les deux à savoir l’obligation de l’instruction ; la contradiction, la délibération ; et la décision collégiale. On note d’ailleurs, qu’après avoir expliqué les sanctions selon qu’il s’agisse de DBF ou de VJC, Dr Brahim Ben Bih relève la Dualité des sanctions entre la sanction et la réparation du préjudice ainsi qu’une deuxième caractéristique des sanctions celle de la consécration du caractère pédagogique et la fonction de dissuasion générale des sanctions prononcées par les juridictions financières à travers la publication des décisions juridictionnelles.
Responsabilité personnelle et pécuniaire en matière de vérification et jugement des comptes (VJC)
C’est un régime fondé sur la logique de garantie et non sur la logique de la sanction. Il s’agit d’une responsabilité lourde qui expose le propre patrimoine du comptable en cas d’opération irrégulière ce qui implique l’obligation de souscription d’une police d’assurance, d’autant qu’l n’y a pas de délai de prescription légal. Il s’agit également d’une responsabilité basée sur la faute présumée et d’une responsabilité inconditionnelle pour la faute d’autrui. Le débat sur la base d’éléments matériels du compte sans prise en compte des conditions de travail du comptable public.
Parmi les éléments d’atténuation, il y a lieu de citer l’indépendance du comptable public vis-à-vis de l’ordonnateur (réquisition), ainsi que les pièces justificatives énumérées par la réglementation (nomenclatures).
Par ailleurs, le contrôle du comptable public ne s’étend pas à l’opportunité…
Parmi les limites de la responsabilité personnelle et pécuniaire figure la problématique de l’irrévocabilité de la chose jugée.
Aussi, le débat sans préjudice peut produire l’enrichissement sans cause, sans oublier que les réformes des finances publiques questionnent la pertinence de ce régime, notamment la non-adaptation de cette responsabilité aux nouvelles missions du comptable public, entre autres limites.
Caractéristiques de la responsabilité personnelle en matière de DBF
L’une des premières caractéristiques de la responsabilité personnelle en matière de discipline budgétaire et financière (DBF), est que la personne non poursuivie par le parquet général ne peut être sanctionnée. Il s’agit d’une responsabilité prescrite dans le temps.
On note également la possibilité de décharge en cas de production d’un ordre écrit par le supérieur hiérarchique. Ce régime est basé sur la liberté de la preuve. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire, pour engager la responsabilité, d’établir l’élément moral du moment que les éléments matériel et légal sont établis.
Autre caractéristique de cette responsabilité est le principe de l’individualisation de la sanction, selon la gravité de l’infraction et son caractère répétitif.
Par ailleurs, la bonne foi d’une personne mise en cause ne constitue pas un élément pour le désengagement de sa responsabilité.
Comme pour la Responsabilité personnelle et pécuniaire en matière de vérification et jugement des comptes, il existe des circonstances atténuantes tirés des arrêts et jugements prononcés en matière de responsabilité personnelle en matière de DBF. Notamment le manque d’expérience, l’insuffisance de préparation et de formation, accord tacite préalable de l’autorité hiérarchique ou de tutelle ou en cas d’urgence ou de nécessité, entre autres éléments d’atténuation.
A contrario, Dr Brahim Ben Bih cite des exemples de circonstances aggravantes tirés des arrêts et jugements prononcés comme la multiplication et répétition des agissements irréguliers ; ou tirer bénéfice d’un avantage personnel ou encore avoir causé un préjudice à l’organisme.
Autre circonstance aggravante est le non-respect des principes fondamentaux dans la gestion l’exemple du non-respect de la concurrence et l’égalité d’accès à la commande publique…
Il y a également débat sur l’application des circonstances absolutoires, notamment pour assurer la continuité du service public; en cas d’urgence; face à l’absence de solutions juridiques ; ou encore la multiplicités des circonstances atténuantes.
Le débat concerne également la sanction de remboursement qui est une sanction complémentaire à la sanction pécuniaire, sur les problématiques liées à son application particulièrement la disproportion entre les deniers privés du gestionnaire public et les dommages qui peuvent être causés par les infractions commises. L’adaptation de la responsabilité civile aux spécificités de la gestion publique se pose également.
Aussi, l’absence de responsabilité solidaire rend également difficile l’application de cette sanction.
Autre élément contribue à cette difficulté est celui relatif aux difficultés de détermination des éléments de l’application de la sanction : la distinction entre la faute personnelle et la faute de service…
Vers un système plus efficace et adapté aux mutations actuelles en matière de la gestion publique
A la lumière de tout ce qui précède, comment tendre vers un système plus efficace et adapté aux mutations actuelles en matière de la gestion publique ?
Certaines pistes ont été présentées par Dr Brahim Ben Bih, notamment la limitation de la responsabilité personnelle et pécuniaire aux seules fonctions du comptable public relatives au maniement des deniers publics.
Il propose également l’institution d’un office du juge financier qui soit en plein exercice, ce qui implique de limiter le caractère objectif de la responsabilité pécuniaire et personnelle, de supprimer la théorie du ministre-juge et d’instaurer un système basé sur la faute et le préjudice et l’application de la sanction approprié.
Par ailleurs, il est proposé d’accorder plus d’intérêt à la gestion de fait au regard du son intégralité dans la reddition des comptes, à travers la simplification de la procédure de déclaration et de jugement des cas de gestion de fait. Autre idée à étudier est celle d’adapter les infractions à la nature de la responsabilité en matière de gestion de fait.
Dr Brahim Ben Bih souligne également l’impératif d’adapter les procédures aux dispositions de la constitution en vue de son harmonisation aux exigences du procès équitable…
Autre piste en perspective est le développement de la responsabilisation par suite des fautes de gestion, autrement dit aller vers l’extension de la responsabilisation au contrôle de l’obligation de la prise de décision, tout en prenant en considération les qualités du gestionnaire efficace, prudent et vigilant (devoir de diligences nécessaires), éviter la confusion entre les fautes de gestion et l’échec.
Autre point important est celui d’éviter les cas d’impunité : ré encadrement des conditions de validité de l’ordre écrit et de ses effets.
La mise en place d’un système clair et précis des conditions d’application de la sanction de remboursement qui doit tenir en compte la fonction du gestionnaire public et se baser sur une responsabilité solidaire qui répond à l’interaction et la complémentarité des différentes missions des gestionnaires publics revêt également toute son importance. Un système efficace implique également l’adoption d’un régime unique de responsabilité des gestionnaires publics ne se basant pas sur le critère de la personne dans l’imputation des responsabilités, mais plutôt sur les opérations et les principes qui encadrent la gestion publique.
Ce sont là autant de pistes qui dressent aussi bien les défis que les perspectives d’évolution future du régime de la responsabilité devant les juridictions financières.