L’industrie automobile, espoir de l’économie marocaine, évolue dans un secteur où la sociologie prime l’économie. Son développement est tributaire de facteurs qui sont en mouvance continue. D’où la nécessite d’être toujours à l’écoute du marché.
La vie en rose
Au moment où elle se dirigeait droit vers la voie de garage, l’économie marocaine s’est voiturée par l’industrie automobile vers la voie de la reprise. Au titre des onze premiers mois de l’année 2019, les exportations de cette branche de l’économie se sont élevées à 251.174 millions de dirhams, marquant ainsi une évolution positive de l’ordre de 5,40% par rapport à la même période de l’année 2018. Pour la cinquième année consécutive, le secteur de l’industrie automobile a eu la distinction du premier exportateur du Royaume. Le secteur a été également consacré premier pourvoyeur de l’investissement étranger au titre des années 2017 et 2018. En effet, les flux net d’investissement directs étrangers au Maroc généré par l’industrie automobile s’est établi à 2,244 milliards de dirhams en 2018, contre 1,681 milliards de dirhams en 2017. Cette réussite a enjalousé aussi bien les amis que les ennemis. Le secret de la réussite est simple : se ranger des voitures en matière de stratégie économique et arrêter de donner de la confiture aux cochons. Et pour ne pas rendre à César ce qui est à Julie, il faut reconnaître que la réussite est à mettre, notamment, à l’actif de l’action publique. Dans ce cadre, il suffit de rappeler que le secteur a bénéficié de 504 millions de dirhams en 2019, de 583 millions de dirhams et de 495 millions de dirhams au titre des dépenses fiscales. Et oui quand on aime, on ne compte pas.
La déprime
Seulement, et à croire les chiffres de l’Association des Importateurs de Véhicules Automobiles Montés (AIVAM), cette richesse ne profite pas dans les mêmes grandeurs au marché local. En effet, les ventes des concessionnaires ont accusé, en 2019, une baisse de l’ordre de 6,15% par rapport à l‘année 2018. La régression affichée par le secteur s’explique, notamment, aux yeux des opérateurs par la mise en veilleuse pendant deux années du fonds d’accompagnement des reformes du transport routier urbain et interurbain. La bonne nouvelle ne s’est pas fait attendre. Le rapport sur les comptes spéciaux du Trésor de l’année 2020 renseigne sur un apport de l’Etat de 2 milliards de dirhams repartis sur les années 2020, 2021 et 2022. En agissant sur la demande, cet acte d’interventionnisme de l’Etat permettra de rajeunir le parc des taxis devenus vieux comme Mathusalem. Cette opération de rajeunissement, amorcée en 2017, devrait couvrir vers la fin de 2022, une population de 77.000 taxis.
L’Etat interventionniste
Cette action de l’Etat sur la demande permettra sans aucun doute de venir en aide d’un secteur déprimé et de donner un coup de fouet à la consommation. La prime à la casse permet alors de booster la demande des véhicules neufs pendant la période couverte par l’avantage. A la fin de cette période, les ventes subissent une nette correction. Les opérateurs, profitant de la prime à la casse, anticipent leurs actes d’achat qu’ils auraient dû faire de toute façon. Ils achètent plutôt et avec une prime de l’Etat ce qu’ils auraient acheté plus tard sans faire appel à l’argent du contribuable. En outre, cette prime à la casse profite aussi bien aux bagnoles sorties des chaines de Tanger, Casablanca voire Kenitra et celles importées de l’étranger. Par cet acte généreux de l’Etat marocain, le contribuable marocain trouve une demande à une offre étrangère et contribue à sa prospérité.
Le père mendie et les fils font la charité !
Aide vs environnement
L’octroi de cette prime à la casse, dédiée aux taxiteurs qui roulent en usant un carburant impropre à l’environnement, devrait être soumis à des conditions. L’Etat aurait dû obliger les bénéficiaires de cette prime à s’équiper en véhicules qui carburent sous le mode essence ou encore sous le mode hybride. La donne environnementale aurait dû faire avaler la pilule. En outre, lesdits taxiteurs doivent procéder au renouvellement de leurs outils de production et de l’entretenir pour répondre à l’impératif environnemental.
En outre, la voiture est également dans le viseur des écologistes qui multiplient les actions contre le recours massif à l’utilisation de ce moyen de déplacement. Dans ce cadre, on organise des journées sans voiture, on encourage le recours au covoiturage, on multiplie les zones piétonnes, on installe les systèmes de péages restreignant l’accès des automobiles au cœur des villes, on multiplie les initiatives visant à décourager auprès des citadins la possession de voiture, on interdit la circulation des véhicules les plus polluants.
Rien n’est permanent sauf le changement.
Du coté des concessionnaires qui réclament l’intervention de l’Etat sur la demande, ceux-ci doivent comprendre que le marché de l’automobile est une question également de l’Offre. La demande sur le marché de l’automobile est animée par ce que Roland Barthes nomme une « psychologie de la distinction ». Cet outil doit faire l’objet de changement continu et d’amélioration technique et doit être le centre de l’innovation. La demande change, l’offre doit suivre en continu.
La voiture c’est une question de sociologie
Les sociologues ont démontré que l’intérêt pour un individu d’entrer dans le club des automobilistes est lié au nombre de ses membres : plus les conducteurs sont nombreux, plus il est intéressant d’être conducteur. Seulement on ne peut espérer une croissance du parc automobile alors que l’infrastructure dédiée à l’automobile ne bouge pas d’un iota. L’action sur la demande se fait par le renforcement de l’infrastructure routière, les parkings et autres. plusieurs préfèrent que les fonds dédiés à la prime de la casse soient injectés dans le Fonds spécial routier qui voit ses recettes diminuer d’année en année, du moins entre 2016 et 2018. Mais bon, mieux vaut donner à un faux pauvre que refuser son assistance à un vrai.
Les concessionnaires doivent également comprendre que l’ère de « tout-à–l’automobile » est révolu. Les pouvoirs publics sont penchés sur le développement d’autres modes de déplacements qui risqueraient de mettre un terme à la domination du « complexe route-moteur ».
Le secteur se trouve frappé de plein fouet par la mutation culturelle. Il est temps de penser à un nouveau modèle de développement fiable à long terme. En effet, sans le long terme, il ne peut y avoir de court terme.