Lors du précédent entretien, l’économiste Omar Bakkou nous a présenté les propositions émises par le rapport de la CSMD pour réformer trois secteurs vitaux , à savoir l’eau, l’énergie, le logement. Dans le présent entretien nous interrogerons O. Bakkou sur un autre secteur éminemment important pour le devenir du Maroc , à savoir celui de l’éducation.
-Quelles sont les principales propositions de la CSMD pour améliorer la situation du secteur éducatif national ?
Le secteur éducatif marocain se caractérise globalement par une profonde insuffisance qualitative.
Cette insuffisance peut être appréhendée à travers de multiples indicateurs , notamment :
– le taux très élevé de déperdition scolaire ;
– le taux très élevé des élèves qui ne maîtrisent pas la lecture à la fin du primaire (environ deux tiers) ;
– le décalage entre l’offre de formation et les besoins du marché de l’emploi ;
– le faible développement de la recherche scientifique, etc.
Pour rompre avec cette situation, le rapport de la CSMD propose l’initiation d’une véritable renaissance éducative marocaine.
-Renaissance éducative, pourriez-vous expliciter davantage ce concept ?
La renaissance éducative qualifie l’état d’un système éducatif capable de produire des ressources humaines de qualité.
Cette qualité doit apparaître autant au niveau des compétences cognitives que celles comportementales.
–Compétences cognitives ?
Les compétences cognitives englobent celles linguistiques, scientifiques, managériales, techniques, etc.
-Quid des compétences comportementales ?
Les compétences comportementales désignent celles relatives au sens de la responsabilité, l’éthique, l’ouverture d’esprit, la réflexion autonome, la curiosité, la communication, l’esprit de coopération, la passion pour la culture, l’art et le sport, etc.
-Objectif intéressant mais un peu vague. Pourriez-vous nous donner une appréhension chiffrée de cet objectif ?
Le rapport de la CSMD a défini de manière assez précise cet objectif de renaissance éducative.
En effet, à l’horizon 2035, plus de 90% des élèves devront posséder les compétences scolaires fondamentales à la fin du cycle primaire, contre moins de 30% en 2020.
De même, 20% des élèves des collèges et lycées devront suivre la voie professionnelle, contre respectivement 1% et 5% aujourd’hui.
S’agissant de l’enseignement supérieur, le rapport de la CSMD vise l’émergence d’établissements d’enseignement supérieur publics et privés prestigieux, capables d’attirer aussi les meilleurs étudiants de la région et du continent.
-Quels sont les leviers pour atteindre cet objectif ambitieux de renaissance de notre système éducatif ?
Pour la réalisation de cet objectif, le rapport de la CSMD a émis une multitude de propositions.
Ces propositions consistent en un ensemble de mesures destinées à assurer une transformation profonde de toute la filière éducative dans ses différentes composantes, à savoir le préscolaire, le scolaire, l’universitaire et le professionnel.
Ces mesures visent à agir sur les deux principaux paramètres de la qualité de l’enseignement, à savoir le contenu et le contenant.
-Quelles sont les mesures visant le contenu de l’offre éducative ?
En matière de contenu, il est proposé d’opérer une révision profonde des programmes.
Cette révision aurait pour objectif de promouvoir les compétences de l’étudiant autant cognitives que comportementales.
-Quid du contenant ?
En matière de contenant, il est proposé d’entreprendre un ensemble de mesures destinées, d’une part, à améliorer la situation des ressources humaines en charge de l’éducation et, d’autre part, à moderniser les établissements éducatifs.
-Vous dites ci-dessus que le rapport de la CSMD propose l’initiation d’un ensemble de mesures destinées à améliorer la situation des ressources humaines en charge de l’éducation. Pourriez-vous nous en donner plus de précisions à ce sujet ?
Oui effectivement le rapport de la CSMD a émis deux catégories de propositions à ce titre.
Une première catégorie concerne les enseignants.
Quant à la seconde catégorie, elle concerne les autres intervenants dans l’acte éducatif.
-Quelles sont les propositions émises en faveur des enseignants ?
Les propositions émises à ce titre concernent la formation et la motivation des enseignants.
-Améliorer la formation des enseignants, comment ?
En matière de formation des enseignants, deux propositions concrètes sont suggérées à ce titre.
La première consiste dans la création d’un Centre d’excellence du Professorat qui aura pour mission de garantir la qualité des établissements de formation des professionnels de l’enseignement existant actuellement.
Quant à la seconde, elle consiste dans la généralisation du parcours de formation initiale en cinq ans à tous les futurs enseignants.
-Quid de la motivation des enseignants ?
En matière de motivation des enseignants, il est proposé de rendre le métier d’enseignant plus attractif pour les meilleurs étudiants.
Cet objectif pourra être réalisé à travers la conception d’un parcours de carrière qui offre des possibilités de motivations pécuniaires conditionnées à la performance.
-Quelles sont les propositions émises en faveur des autres intervenants dans l’acte éducatif ?
Le rapport de la CSMD a émis deux principales propositions à ce titre :
-L’enrichissement du staff éducatif des établissements scolaires (primaire et secondaire) par d’autres corps de métiers, notamment les spécialistes de la remédiation, tels les orthophonistes, les psychopédagogues et les assistants pédagogiques.
-Le renforcement des effectifs des conseillers d’orientation tout en améliorant la qualité de leurs prestations, notamment à travers leur ouverture sur le monde professionnel, et ce, pour faire découvrir aux jeunes les métiers et les opportunités de carrière.
-Vous dites ci-dessus que le rapport de la CSMD propose le lancement d’un ensemble de mesures destinées à moderniser les établissements éducatifs. Pourriez-vous nous en donner plus de précisions à ce sujet ?
Les propositions visant la modernisation des établissements éducatifs peuvent être scindées en deux catégories : celles transverses et celles spécifiques.
Les propositions transverses regroupent certaines suggestions qui concernent tous les établissements éducatifs, à savoir ceux scolaire, universitaire et professionnel.
Ces suggestions peuvent être résumées en deux idées clés : d’une part, favoriser les partenariats entre les établissements éducatifs et les secteur privé et, d’autre part, s’appuyer sur le numérique pour en faire un puissant levier de transformation du système éducatif.
S’agissant des propositions spécifiques, elles ont trait aux suggestions qui concernent certains établissements éducatifs, notamment ceux professionnel et universitaire.
-Quelles sont alors les propositions pour l’amélioration de la qualité de formation des établissements de formation professionnelle ?
Les propositions émises par le rapport de la CSMD pour l’amélioration de la qualité de formation des établissements de formation professionnelle se présentent comme suit :
-La restructuration de l’OFPPT dans le sens de la séparation de son rôle de chargé de la stratégie du secteur de celui d’opérateur de 70% de l’offre.
– La mise en place d’un mécanisme de pilotage rigoureux de l’offre de formation professionnelle dans le sens de l’ajustement continu de cette offre aux besoins du marché du travail.
-L’implication forte du secteur privé dans la gouvernance des Cités des Métiers et des Compétences, notamment dans la conception des formations et dans la définition des besoins en compétences.
–Quid des propositions pour l’amélioration de la qualité de formation des établissements universitaires ?
Deux principales propositions ont été émises par le rapport de la CSMD pour l’amélioration de la qualité de formation des établissements universitaires .
La première proposition porte sur l’intégration des fondements du numérique à toutes les filières de formation de l’enseignement supérieur
Quant à la seconde proposition, elle porte sur la promotion de la recherche d’excellence à travers la structuration du système de recherche scientifique.
Cette structuration pourra être mise en œuvre par le biais de la mise en place d’un mécanisme d’évaluation scientifique rigoureux permettant d’assurer les fonctions de contre-pouvoir en matière de labellisation de l’excellence.
-Le rapport de la CSMD a traité également le sujet des formations hybrides. Pourriez-vous nous éclairer à ce sujet ?
Les « formations hybrides » désignent les formations par alternance ou par apprentissage.
A ce titre, le rapport préconise le renforcement des capacités d’accueil en milieu professionnel pour ce type de formation.
Ce renforcement doit être opéré à travers la mise en place d’un cadre incitatif qui encourage les entreprises et maîtres d’apprentissage dans l’artisanat, à accueillir des étudiants en apprentissage et alternance.
-Vous avez présenté ci-dessus un aperçu sur les mesures proposées par le CSMD pour réparer « la fonction de production » du secteur de l’éducation. Quid de la « la fonction financière » ?
Concernant le financement, il semble que le modèle actuel de prise en charge par l’Etat des coûts des services éducatifs sera maintenu.
Néanmoins, un système de participation partielle des bénéficiaires aux coûts de financement est proposé pour l’enseignement supérieur.
Cette participation sera assortie de certains mécanismes, tels les bourses sociales et de mérite, les prêts étudiants garantis par l’Etat, etc.
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