La deuxième édition du Sommet Arabe de l’entrepreneuriat clôturé le 14 décembre 2023 à Marrakech a fait office d’évènement impactant l’encouragement et le soutien à l’entrepreneuriat au Maroc, ce qui n’est point une nouvelle donne sur le plan pragmatique.
Le sujet serait alors redondant si l’on s’en tenait à cet unique point de vue. Cependant, une brève rétrospective de l’histoire de la pensée économique soulignant la mise à l’honneur de la PME pourrait apporter un éclairage sur la considération portée à cette thématique.
Certes, le lien entre la performance de l’économie et l’entrepreneuriat est établi à tous les niveaux.
Premièrement, si nous considérons que l’économie est la science des affaires, alors l’entrepreneur y trouve ses lettres de noblesse car « grâce à ses projets, il fait progresser l’économie » (S. Boutillier, A.Tiran 2016).
Deuxièmement, sur le plan scientifique, de nombreux travaux soulignent la montée en puissance des entreprises de petites dimensions dans les pays industrialisés (Levratto, 2009).
Les économies seraient alors entrées dans une nouvelle phase du capitalisme à base entrepreneuriale dans laquelle les petites entreprises joueraient le rôle clé (Levratto, 2009).
Selon cette perspective, les PME sont considérées comme un moteur important de croissance des économies car elles sont un vivier d’emplois, de revenus et de recettes étatiques.
A juste titre, la théorie économique dévoile l’intérêt porté à l’entrepreneur au 18 ième siècle avec les travaux de l’économiste R. Cantillon (1680-1734), pionnier de la théorie de l’entrepreneur. Puis au tour de J.B Say (1767-1832) d’identifier les avantages de la libre entreprise et J. Schumpeter (1883-1950) de mettre l’accent sur l’entrepreneur en tant que moteur de la dynamique capitaliste.
Justement, en théorie économique, il est décrit comme « un individu qui fait travailler des ouvriers par le biais de ses avances en capital » (Boutillier 2016). Sous cet angle, il peut être notifié qu’il prend alors des risques en engageant ses capitaux dans une action dont il serait responsable en cas d’échec ou du succès.
A l’amont de ladite action, citons le phénomène entrepreneurial qui est compris comme le passage du projet d’entreprendre au projet d’entreprise (Bréchet 1994). Il est alors lié à la dynamique de la naissance des entreprises, et fait alors une grande place à l’activité de conception de la firme.
Dans ce cadre, la théorie de l’entreprise fondée sur le projet ou le PBV (Project Based View) présente le projet collectif ou individuel comme un effort de construction de l’action fondée sur l’anticipation. Bien évidemment, l’action ne pouvant être conçue et déployée que sur un mode intentionnel et volontaire ( Bréchet 2011).
Elle s’intéresse donc à la naissance de l’entreprise et sa dynamique de construction en situation d’interaction avec son environnement car il y a lieu de rappeler, que les organisations sont en général des phénomènes sociaux porteurs de dynamiques relationnelles.
En effet, l’entrepreneur serait doté d’une énergie de changement et donc porteur de projets sur plusieurs plans. Aussi bien sur celui des relations que de la construction des savoirs.
A cet égard, rappelons qu’il a été démontré statistiquement, que la majorité des nouveaux produits nait dans la PME. D’ailleurs, l’entrepreneur ne personnifie –t –il pas l’innovation dans la pensée de Schumpeter ?
A ce sujet, l’innovation n’est pas perçue par J. Schumpeter uniquement comme progrès technique. En fait, il en distingue 5 types : la fabrication d’un nouveau produit, une nouvelle méthode de production, de nouveaux débouchés, une nouvelle source de matière première, une nouvelle organisation du travail.
Dans ce contexte, le modèle d’Everett Rogers (1931-2004) mettra l’accent sur la phase de la diffusion de l’innovation par l’entrepreneur dont l’étape de la persuasion est la plus importante.
C’est ainsi, que le rôle primordial de la fonction marketing de la firme est mis en avant car elle est responsable de son succès basé sur la satisfaction des besoins de clients avant tout, sans quoi aucune entreprise quel que soit sa taille ne pourrait exister ni survivre.
En bref, le soutien à la création de PME se base certainement sur un environnement d’affaire propice ouvrant l’accès au financement et à l’accompagnement de l’entreprise. Néanmoins, si l’entrepreneuriat est considéré comme un processus axé sur la créativité et l’innovation de la conception du projet à sa réalisation, le défi à soulever est de mettre l’accent en amont du processus entrepreneurial.
C’est-à-dire sur la qualité des capacités et compétences humaines pour renforcer l’esprit et l’envie d’entreprendre. Certes, l’envie ne suffit pas mais elle est à la source de toute créativité.
Au-delà, cette réflexion nous amène alors à la question indubitable de la qualité du système de l’éducation et de l’enseignement en matière de formation, d’encadrement et d’apprentissage favorisant ainsi la performance des capacités humaines nécessaires pour édifier une économie durable et résiliente.
Par Dr JIHANE BAKKALI, Enseignante – Chercheuse
FSJES-Souissi Université Mohammed V-Rabat
Bibliographie indicative :
S.Boutillier, A.Tiran « La théorie de l’entrepreneur, son évolution et sa contextualisation », Revue Innovation, 2016/2 n°50
J.P. Bréchet, N. Schieb-Bienfait, A.Desreumaux « Les figures de l’entrepreneur dans une théorie de l’action fondée sur le projet » Revue de l’entrepreneuriat , 2009/1 vol 8 p 37-53
J.Bréchet, A.Desreumaux « La théorie de l’entreprise fondée sur le projet ou Project-Based View : une théorie ontogénétique » Humanisme et Entreprise, 2011/4 n°304 p 57 -64
N.Levratto « Les PME ; Définitions, rôle économique, politiques publiques », ed De Boeck, 2009