Ayant connus un processus d’industrialisation soutenu, les pays du nord capitalisent sur une pratique urbaine et une gouvernance des villes à la bonne échelle territoriale. Le résultat est connu : Des gouvernements urbains décentralisés, des moyens à la hauteur des ambitions et des attentes de la population, mais aussi, un accompagnement de l’Etat dans la réalisation de grands projets et infrastructures urbaines.
Ce qui fait des villes du nord des lieux d’attractivité et de création de la valeur sociale et culturelle. D’où une mobilité géographique des citoyens à la recherche de la qualité de vie et des opportunités économiques meilleures.
Dans les pays du Sud, la transition urbaine s’opère dans un contexte difficile. Des mutations plurielles positionnent les villes et territoires devant des enjeux majeurs. Ces défis renseignent sur des dynamiques urbaines à fort impact systémique sur les villes, et dont les principales manifestations sont les iniquités territoriales, la faible intégration des villes, la déficience en infrastructures, et la gentrification urbaine.
Alors qu’elles ne représentent que 3% de la surface terrestre, les villes génèrent près de 80% de la croissance économique globale selon la banque mondiale. La compétitivité des Etats passe par celle des villes. Bien pensées et gouvernées, les villes apportent des réponses aux différents défis et enjeux cités ci-haut. Et par conséquent, les villes exercent une attractivité sur les entreprises et les classes créatives[i].
Dans son dernier rapport intitulé « Cities of Choice» le BCG Institute, un think tank du cabinet international Boston Consulting Group, analyse les politiques des villes pour retenir ou attirer la population. Alors que le monde vit au rythme d’une polycrise (financière, sanitaire, économique et climatique), cette étude tente de comprendre les facteurs explicatifs qui poussent les habitants à déménager ou à rester, et de saisir comment les décideurs municipaux réagissent pour rehausser la qualité de vie et faire des villes des lieux attractifs.
De l’approche méthodologique
Pour mener cette étude, le think tank s’est basé sur une approche mixte croisant des données statistiques de 150 indicateurs démographiques, économiques, sociaux et politiques, et des données d’enquêtes auprès de 50000 personnes dans 79 grandes métropoles à travers le monde.
L’analyse couvre cinq rubriques : les opportunités économiques, la qualité de vie, le capital social, la gouvernance et la vitesse de changement ; et 26 sous-rubriques telles que l’emploi, le logement, la mobilité, l’espace public, l’écologie, l’équité, l’environnement des affaires, etc.
S’agissant des villes étudiées, elles sont regroupées en quatre catégories en fonction du poids démographique et du niveau de développement économique. Sont concernées par l’étude des mégalopoles qui abritent plus de 10 millions d’habitants ; des métropoles de plus de 3 millions ; des villes de moins de 3 millions d’habitants ; et des villes en développement de différentes tailles situées dans les économies émergentes.
L’objectif premier de l’étude est de croiser la performance de la ville avec la perception des habitants sur ce qu’ils attendent et dans quelle mesure leurs attentes sont satisfaites par les décideurs locaux.
La qualité de vie, une variable décisive pour s’installer dans une ville
De prime abord, l’étude admet qu’aucune ville n’est parfaite. Toutes les villes ont leurs forces et leurs faiblesses. Des mégapoles comme Londres et New York se positionnent sur l’échiquier du monde urbain de par leur place dans l’économie, la finance mondiale et l’attractivité des classes créatives.
Des villes de poids démographique supérieur comme Washington et Singapour se classent respectivement troisième et quatrième. Ces deux villes tirent leur position de la qualité de vie, des opportunités économiques et de l’interaction avec les autorités. Considérée comme Ville-Etat, Singapour dispose d’un écosystème numérique très avancé et offre des services gouvernementaux digitalisés pour tous les âges.
D’un poids démographique moyen, la ville de Copenhaguen se positionne au cinquième rang grâce à la qualité de vie et le capital social. Pour cela, la ville crée l’environnement permettant aux habitants de s’identifier à la ville, à sa culture et à son histoire.
Le top dix est complété par la métropole de Sans Francisco, les villes de taille moyenne de Vienne, Amsterdam, Varsovie, et la grande mégalopole de Shanghai. Le reste des 20 comprend quatre poids lourds, Guangzhou, Madrid, Boston et Seattle, et six petits poids moyens, Stockholm, Munich, Zurich, Oslo, Abu Dhabi et Hambourg.
Les conclusions de l’étude renseignent que les villes de taille moyenne et celles d’un poids moyen supérieur surclassent les mégalopoles sur les registres de la propreté, l’égalité des revenus, la sécurité et le lien social. Ce qui confirme la position de cette catégorie de villes aux premiers rangs du classement global (Copenhaguen, Vienne, Amsterdam, Varsovie, Boston).
Au vu de la quantité des données de l’enquête, l’étude donne des clés de compréhension sur les atouts que les gens apprécient pour faire le choix de leurs villes. En effet, les villes d’un poids démographique moyen se distinguent par leurs notes élevées au vu de la qualité de vie et le capital social.
Aussi, l’étude fait le constat que sur les 79 villes étudiées, 34 villes en développement connaissent des mutations rapides. Il importe toutefois de préciser que la plupart de ces villes font preuve d’une qualité de vie inférieure et d’un déficit de leadership en matière d’opportunités économiques. Ces villes sont principalement concentrées en Asie et en Afrique.
Par ailleurs, pour appréhender les villes les mieux aptes à s’adapter aux changements économiques et sociodémographiques, l’étude arrive à quatre groupes de villes. D’abord, des ‘’villes de demain’’ qui connaissent un développement économique et des mutations rapides. Ensuite, des ‘’villes matures’’ composées des métropolesdotées de niveaux de développement économique élevés, mais dont la capacité à s’adapter à la vitesse du changement est faible. Puis des ‘’villes à surveiller’’ qui font preuve d’une croissance rapide et d’une capacité à s’adapter à des changements. Enfin, des ‘’villes stagnantes’’ qui enregistrent de mauvais résultats en termes de développement économique et de rapidité de changement.
Des angles morts du classement des villes
Bien que les classements des villes fournissent des informations utiles, ils peuvent présenter des limites. La subjectivité des critères retenus peut impacter les résultats. Les classements peuvent ne pas prendre en considération les spécificités culturelles d’une ville ou interpréter différemment des variables telles que « qualité de vie » ou « inclusion sociale ». Certains classements se concentrent sur des indicateurs financiers et passent sous silence les aspects sociaux et les défis auxquels une ville est confrontée.
Pour dire qu’une étude de classement des villes à partir des paramètres socioéconomiques et financiers reste un outil parmi d’autres pour comprendre la complexité des villes et non comme une évaluation définitive.
Par Mostafa Kheireddine, PhD Urbaniste-Université de Montréal, Chercheur en sciences de la ville
[i] Théorisé par R. Florida, ce concept renvoie à l’analyse des facteurs d’attraction et de la compétitivité urbaine à partir du capital humain