La crise du Covid-19 a rappelé une fois de plus que le savoir, ou la matière grise, est le nerf de la guerre dans le concert des nations. Une ressource principale et disponible au Maroc, très convoitée par d’autres pays. X-Maroc a planché sur cette question dans le cadre d’une webconférence labellisée par la CSMD, et sur les moyens nécessaires à son essor et à son épanouissement.
En période du Covid-19 la contribution des Marocains à trouver un vaccin dans des équipes scientifiques d’autres pays, les cas édifiants des Etats-Unis d’Amérique et de France… mais au Maroc également, fort heureusement, en n’est l’illustre preuve. Dans ce panorama, pour décrire la posture du Maroc, le pays continue de cultiver des arbres fruitiers mais au moment de la cueillette, d’autres pays récoltent une partie de ses fruits !
Se pose dès lors, et avec acuité, la problématique des verrous à faire sauter et les leviers à actionner afin de mettre pleinement à profit cette ressource au service de l’essor du pays qui, rappelons-le, est en phase d’élaborer un nouveau modèle de développement.
Et c’est à ce titre que le groupe X-Maroc, association Marocaine des anciens élèves de l’École Polytechnique, a organisé récemment une webconférence labellisée par la Commission Spéciale sur le Modèle de Développement (CSMD) sous le thème « Innovation et R&D : leviers-clés du Maroc de demain ».
Introduisant la rencontre suivie en live par quelques 400 personnes en ligne, Khalid Safir, le président de X-Maroc a planté le décor : « Le groupe X-Maroc cherche en organisant cet événement à l’enrichissement des travaux de la Commission spéciale sur le modèle de développement sur une thématique d’ordre économique et où le Royaume du Maroc a aujourd’hui, de forts atouts qui peuvent être consolidés pour assurer une meilleure place à notre pays dans la société d’information et l’économie du savoir ».
Les quatre interventions et les débats qui s’en ont suivi avaient pour objectif de « démontrer que l’économie du savoir et de l’innovation en général et de la recherche appliquée en particuliers sont des leviers importants pour renforcer la modernisation de l’économie marocaine et sa capacité à créer des emplois », souligne-t-il.
Dans un premier temps, la R&D et l’innovation ont été approchées sous le prisme de leviers de résilience des entreprises, surtout face à un choc, le cas de la crise économique de 2008. 12 ans plus tard, la corrélation entre maintien de la croissance en temps de crise et innovation, est plus que jamais à l’ordre du jour, et au moins pour deux raisons.
Nadia Fassi-Fihri, PDG d’inwi et X1990, cite ainsi la crise sanitaire du Covid-19 mais également l’émergence de technologies disruptives : objets connectés, intelligence artificielle… des éléments qui questionnent la capacité des entreprises marocaines à se distinguer dans ces conditions. Mais, plus que la résilience en temps de crise, Nadia Fassi-Fihri estime que l’investissement en R&D et innovation est une condition de rebond, le cas de ces entreprises marocaines qui se sont illustrées pendant cette crise aussi bien sur le plan national qu’international.
Ceci dit, cela reste tributaire de plusieurs facteurs pour conduire un tel changement.
L’entrepreneur, acteur clé
Mohmed Mamoune Bouhdoud, ancien ministre et X2004 soutient l’idée qu’entreprendre est en soi une innovation, mais pour être ou devenir l’entrepreneur de « demain » et oser innover, certains pré-requis sont essentiels dont le plus élémentaire est le profil de cette élite, notamment économique, pour conduire ce changement. Deux autres points inter liés conditionnent également cette transformation que sont le contexte actuel, notamment l’intervention de l’Etat, et la capacité d’anticipation des changements futurs.
Ainsi, la formation et les outils pour accéder à cette innovation, pas uniquement scientifique mais également managériale pour mieux adresser le risque d’entreprendre et accepter l’échec, sont des facteurs fondamentaux selon l’intervenant. Pour M. M. Bouhdoud, amorcer le virage de l’innovation implique au préalable un changement de la culture et l’appréhension de la prise de risque et de l’échec.
Le contexte actuel dans lequel vit l’entrepreneur a également une forte incidence sur sa volonté d’innover, puisqu’une entreprise a besoin des ressources humaines qui épousent ce même esprit, a besoin de financer cette ambition et plus globalement d’un cadre réglementaire et fiscal favorable. Et ce sont ces mesures prises actuellement et la capacité d’anticipation sur les changements structurels majeurs que nous vivons, qui conditionnent également le contexte d’évolution.
Pour l’ancien ministre, le Maroc ne peut faire l’économie de mesures sérieuses pour encourager l’innovation, notamment s’attaquer aux freins administratifs. « Le message clé est que sur le plan législatif, il est important de créer un cadre très clair pour résoudre les problèmes de l’entrepreneur ».
Il y a lieu de signaler que la R&D n’est pas l’exclusivité d’un seul domaine mais plutôt tous les domaines et ne concerne pas uniquement les produits et services d’une entreprise.
Les jalons d’un écosystème R&D
Comme expliqué précédemment, le Maroc dispose d’un atout de taille qu’est son capital humain, mais les conditions ne sont pas propices à son épanouissement et à la transformation de ses idées en projets, en produits créateurs de valeur ajoutée et en emplois. Particulièrement en amont, au sein mêmes des universités mais également en aval.
Comment dès lors aller « Vers un écosystème R&D intégré valorisant le capital humain » qui favorise la recherche au sein des centres de recherches et jette les ponts avec le monde entrepreneurial ? Hicham El Habti, Secrétaire Général de l’Université Mohammed VI Polytechnique et X1998 rappelle d’emblée deux indicateurs qui permettent d’évaluer le contexte actuel dans lequel évolue la R&D au Maroc.
D’abord un budget dédié à la recherche scientifique autour de 0,75 % du PIB qui place le Maroc au mieux au 50ème rang mondial. Ensuite un nombre de doctorants lauréats inférieur à 2.000 personnes par an, dont moins de 6% dans le domaine scientifique et technologique. Autant dire que le Royaume est loin des standards internationaux. D’autant que le pays ne compte que 25 universités, à titre comparatif, le Canada en compte 75.
Evoquant l’expérience des chercheurs au sein de l’UM6P, adossée au Groupe OCP qui investit massivement dans la R&D, Hicham El Habti souligne que dès le départ, le parti pris était de faire de la recherche appliquée, très liée aux thématiques industrielles. En effet, Hicham El Habti rappelle que sur l’échelle TRL (Technology readiness level) qui va de 1 à 9, beaucoup d’universités et centres de recherches se situent entre 1 et 3, soit de la Recherche fondamentale, et ont du mal à aller au-delà. Sur l’intervalle de 4 à 7 sur cette échelle, appelée la vallée de la mort, 80% des idées disparaissent sans jamais se concrétiser en innovation ou en nouveaux produits.
Pour sortir de cette vallée de la mort, Hicham El Habti énumère quelques éléments déterminants comme la mise en place de centres de transfert de technologie qui accompagnent les chercheurs jusqu’au dépôt de brevet, de Skylab pour tout ce qui est design et enfin d’accès à des financements. L’objectif est de développer le profil de chercheur-entrepreneur.
En quelque sorte migrer vers le modèle américain, notamment la présence au sein même de l’université d’incubateurs et de centres de transfert de compétences qui accompagnent les chercheurs pour donner vie à leur idée mais surtout une présence des business Angels au niveau des campus à l’affût de nouvelles idées et de nouvelles licences de produits innovants, pour prendre le relais.
Pour ce faire, un travail s’impose au niveau de l’amont. L’intervenant estime qu’il faut un minima de 2% du PIB à consacrer à la R&D à travers des outils comme la provision R&D ou des bourses de recherche genre CIFRE. Ou encore des bourses pour intéresser les doctorants.
H. El Habti souligne également un élément fondamental pour créer un cercle vertueux en faveur de la R&D est que les chercheurs prennent part ou soient associés à l’entreprise. Aux USA, le chercheur, soutenu par un écosystème rodé, détient la licence et crée l’entreprise.
Dans ce sens, la présence de centres de transfert de technologie, d’incubateurs voire de fonds d’investissements sont de nature à favoriser le capital humain et mettre à profit du pays sa matière grise, comme le préconise l’intervenant.
Et comme le Maroc n’évolue pas en vase clos, la dimension continentale et mondiale étant constamment présente dans ses politiques et ses ambitions de hub régional, la R&D et innovation ne peut omettre cet impératif. Mieux encore, quelles sont les pistes à même de faire du royaume un hub régional de la R&D et de l’innovation ?
D’emblée, Ismail Douiri, Directeur général d’Attijariwafa bank et X1987, fait le distinguo entre R&D et innovation. Pour la R&D l’ambition de créer un hub n’est pas nécessairement une question de moyens mais plus un meilleur pilotage et orientation vers certains domaines d’attractivité pour les matières grises.
L’objectif de créer un hub implique entre autres conditions le financement ou plutôt d’investissement, qu’il soit public ou privé marocain ou étranger, dans la R&D.
Ismail Douiri souligne également l’importance des congrès dans ce sens où ils permettent aux chercheurs Marocains d’étoffer leur réseau. Une sorte de connectivité avec la sphère mondiale de la R&D.
Il existe bien évidemment des verrous qu’il faut sauter notamment des barrières d’entrée comme la langue. L’intervenant défend d’ailleurs l’importance de maîtriser le chinois pour accéder aux publications scientifiques. La reconnaissance par les pairs est également essentielle à travers les publications scientifiques. Le Maroc gagnerait également à réfléchir à comment opérer un retour des cerveaux marocains et des conditions à inverser le sens de migration de ces compétences.
Les différentes questions soulevées lors de cette webconférence, qui a duré plus de 2 heures, ainsi que les différents sondages feront l’objet d’un travail d’analyse et de synthèse dont les recommandations parviendront à la CSMD, représentée lors de cette rencontre par Mohammed Fikrat, membre de la Commission et PDG du Groupe Cosumar.
A noter que la thématique de cette webconférence donne ainsi suite aux thématiques des deux derniers colloques du groupe X-Maroc « L’Emploi comme priorité, l’entrepreneuriat et l’innovation comme solution ? » de 2015 et « La R&D comme levier de croissance » de 2019.