Au Maroc, le dilemme de l’IS est toujours d’actualité. Et pour cause on note d’une part que les recettes générées à partir de cet impôt occupe le deuxième poste après la TVA et représentent une source de revenu importante pour l’Etat. D’autre part, la question de l’ampleur du fardeau fiscal au Maroc pour les entreprises se pose avec acuité.
C’est le constat découlant de l’étude « Impôt sur les sociétés et investissement : quel lien au Maroc ? » publiée par BAM dont les auteurs sont Chafik Omar et Achour Aya.
Les auteurs rappellent les ajustements opérés par les autorités au cours des dernières années. Ces dernières ont introduit un ensemble de mesures sur l’IS, notamment, la baisse des taux en 2008, l’adoption de taux spécifiques pour certaines catégories d’entreprises à partir de 2011, l’entrée en vigueur de la gradualité des taux en 2016 et l’adoption d’un régime progressif en 2018. « Pourtant, les mécanismes à travers lesquels l’instrument fiscal de l’IS affecte la dynamique globale de l’économie et les décisions micro-économiques des entreprises au Maroc ne semblent, à notre connaissance, pas être suffisamment investigués », tiennent-ils à expliquer.
Sur le plan macroéconomique, il ressort que l’allégement de la pression fiscale de l’IS aurait un effet légèrement positif sur l’investissement au Maroc. Mais en même temps, la baisse des taux d’IS affecterait les recettes fiscales et induirait un creusement du déficit budgétaire. Sur le plan microéconomique, l’analyse effectuée montre que l’effet de l’IS sur l’investissement est significatif mais reste moins important comparativement à l’effet de certaines variables comme la trésorerie ou l’âge de l’entreprise.
Il serait judicieux non seulement d’évaluer l’efficacité de l’IS en termes de promotion de l’investissement, mais aussi de comprendre l’impact de cet instrument budgétaire sur la dynamique économique et d’apporter des éclairages sur les mesures économiques susceptibles d’améliorer son action.
Les banques centrales s’y intéressent
L’intérêt des banques centrales pour cette thématique est ainsi révélé par la multitude des publications sur la question, notamment par la banque centrale du Portugal en 2013, la Deutsche Bundesbank en 2011 et la FED en 2010.
Pour Bank Al-Maghrib et en plus de cette préoccupation primordiale, s’ajoute ses engagements dans les différents programmes d’encouragement de l’entreprenariat et de l’investissement. Ainsi, ce présent travail tente de répondre à la problématique de l’impact de l’IS sur l’investissement au Maroc en prenant appui à la fois sur une analyse macroéconomique et microéconomique.
A la lumière des autres travaux de recherche qui se sont intéressés à la question, l’analyse macroéconomique repose sur une modélisation SVAR reliant des données macroéconomiques marocaines selon une structure respectant un ensemble de consensus théoriques et empiriques. De son côté, l’analyse microéconomique fait appel à des régressions en panel sur la base des données bilancielles déclarées par les entreprises marocaines.
Les auteurs émettent par ailleurs quelques observations quant à la plus faible réponse de l’investissement à l’allègement de la pression fiscale de l’IS au Maroc. En premier lieu, et contrairement à la littérature académique, la mesure de l’investissement retenue dans ce travail ne différencie pas entre la FBCF privée et celle publique vu que ces séries fournies par le HCP ne sont pas disponibles sur une base régulière.
Or, il est bien établi que la composante privée de l’investissement devrait réagir positivement à la baisse de la pression fiscale de l’IS, tandis que l’investissement public fléchirait en conséquence au recul des recettes fiscales du gouvernement comme le confirme les faits stylisés de plusieurs économies.
Cette évolution de l’investissement public reflète surtout le rôle que joue ce dernier comme une variable d’ajustement pour éviter un déficit budgétaire élevé et préserver ainsi les équilibres des finances publiques. En second lieu, les spécificités de l’économie marocaine pourraient affecter sensiblement l’élasticité entre l’IS et l’investissement.
Dans ce sens, il est à rappeler que le ratio FBCF sur PIB demeure parmi les plus élevés au Maroc, impliquant probablement un effet de seuil qui se traduirait par un potentiel d’accroissement du volume de l’investissement plus limité au Maroc comparativement à d’autres économies en développement.
Faible élasticité entre IS et Investissement
Par ailleurs, la distribution des entreprises qui payent les recettes d’IS au Maroc est asymétrique et dominée par les grandes entreprises. Or, au vu de leur maturité et leur savoir-faire, ces dernières fonderaient davantage leurs décisions d’investissement sur les perspectives économiques, la dynamique des marchés dans lesquelles elles opèrent et surtout les conditions et les modalités de financement de leur investissement.
Sur un autre registre, l’importance des activités informelles pourrait également expliquer la faiblesse de l’élasticité entre l’IS et l’investissement. En effet, la taille de l’économie informelle au Maroc avoisinerait les 30% du PIB selon une étude de Bank Al-Maghrib, mettant notre pays au-dessus de la moyenne mondiale et celle des pays de la région MENA.
A la lumière de ce constat, la taille du secteur informel au Maroc ne manquerait pas d’impacter le lien entre l’IS et l’effort d’investissement des entreprises. Sur un plan international, les travaux empiriques démontrent en effet que la pression fiscale sur les entreprises interviendrait dans l’allocation du capital entre les secteurs formel et informel.
Les résultats de cette analyse permettent de montrer qu’une orientation visant à encourager l’investissement en réduisant le fardeau fiscal des entreprises devrait considérer deux contraintes importantes. D’abord, la politique budgétaire devrait tenir compte de l’importance de l’investissement public et mettre en place des règles budgétaires afin de le préserver de la baisse des revenus. Ensuite, il faudrait être conscient qu’une baisse du taux d’IS à elle seule ne permet pas d’affecter efficacement l’investissement.
Dans ce sens, la baisse des taux d’imposition pourrait s’avérer plus efficace lorsqu’elle est inscrite dans une approche plus intégrée visant à encourager l’accumulation du capital productif à travers, notamment, l’accélération du déploiement des réformes qui soutiennent le développement du secteur privé et l’amélioration de sa compétitivité, la simplification des procédures relatives à l’investissement et l’accroissement de leur cohérence et transparence ainsi que le renforcement de la gouvernance liée aux politiques de promotion de l’investissement au Maroc.