En matière de réforme fiscale, la Cour attire l’attention sur le fait que l’exonération de la TVA sans droit à déduction n’est pas de nature à aider à l’atteinte de l’objectif de la neutralité de la TVA du moment que l’entreprise n’est pas en mesure de récupérer la TVA payée durant le cycle de production.
La réforme fiscale, qui a fait l’objet de la loi-cadre n° 69.19 du 26 juillet 2021, vise à asseoir, un système fiscal efficace, juste, équitable et équilibré permettant de mobiliser le plein potentiel fiscal pour le financement des politiques publiques favorisant aussi bien le développement économique que l’inclusion et la cohésion sociales. Cette loi-cadre a précisé les orientations, les objectifs, les mécanismes et les modalités de mise en œuvre progressive des mesures prioritaires, et a fixé un délai de cinq ans à compter de sa publication pour la mise en œuvre de la réforme.
« Comme bilan d’étape de la réforme, les mesures apportées par la loi de finances (LF) de 2023, année de démarrage de la mise en œuvre effective de la loi-cadre précitée, ont concerné principalement l’impôt sur les sociétés (IS) », rappelle la Cour des comptes dans son rapport 2022-2023. Ainsi, la principale mesure introduite par cette loi de finances concerne la révision des taux de l’IS en vue d’atteindre progressivement, à l’horizon de 2026, les taux cibles de 20% applicable aux sociétés dont le bénéfice net est inférieur à 100 MDH, de 35% pour celles ayant un bénéfice net égal ou supérieur à 100 MDH, et 40 % pour les établissements de crédit et organismes assimilés, Bank Al Maghrib, la Caisse de dépôt et de gestion et les entreprises d’assurances et de réassurance.
La LF de 2023 a prévu, également, des mesures partielles portant sur l’impôt sur le revenu (IR) et sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) applicable aux professions libérales.
Dans le cadre de la mise en œuvre progressive des objectifs de la loi-cadre précitée, le projet de loi de finances (PLF) de 2024 a prévu des dispositions portant principalement sur la réforme de la TVA selon une démarche progressive. Cette réforme vise, selon la note de présentation de ce PLF, à atteindre des objectifs sociaux et à parvenir à l’équité fiscale et à la neutralité de la TVA.
Ainsi, le gouvernement compte généraliser l’exonération de la TVA, sans droit à déduction, à certains produits de base de large consommation, tels que les médicaments et les matières premières entrant dans leur composition et les emballages non récupérables, ainsi que d’autre produits de consommation. L’exonération de la TVA avec droit à déduction concerne également la vente et la livraison de l’eau, destinée à un usage domestique, effectuées par les organismes chargés de la distribution publique ainsi que les prestations d’assainissement et les opérations de location de compteurs d’eau destinés au même usage.
A cet égard, la Cour attire l’attention sur le fait que l’exonération de la TVA sans droit à déduction n’est pas de nature à aider à l’atteinte de l’objectif de la neutralité de la TVA du moment que l’entreprise n’est pas en mesure de récupérer la TVA payée durant le cycle de production.
De plus, le PLF de 2024 prévoit la réduction du nombre des taux actuels de la TVA (7%, 10%, 14% et 20 %) et l’alignement progressif vers deux taux cibles (10% et 20%) à l’horizon de 2026. Ainsi, à titre d’exemple, le taux de la TVA appliquée à l’eau destinée à un usage autre que domestique ainsi que les prestations d’assainissement effectuées par les organismes chargés d’assainissement et les opérations de location des compteurs d’eau destinées à cet usage, sera augmenté progressivement de 7% à 10% en 2026. De même, le taux de la TVA de 14% actuellement appliqué à l’énergie électrique augmentera progressivement pour atteindre 20% en 2026.
A cet égard, au vu du contexte économique particulier dans lequel intervient cette réforme caractérisé par des mesures de lutte contre l’inflation, et compte tenu de l’impact de la TVA sur les prix, la Cour attire l’attention sur l’importance d’évaluer les répercussions et les effets attendus des modifications de taux sur le niveau des prix. La Cour attire également l’attention sur la nécessité de prendre en compte l’effet de ces changements annuels programmés, sur les obligations des entreprises.
Par ailleurs, dans le cadre de l’intégration du secteur informel, de rationalisation des avantages fiscaux et de la lutte contre la fraude fiscale, le PLF de 2024 a prévu l’institution du régime de l’auto-liquidation de la TVA et d’un nouveau régime de retenue à la source de cette taxe. Il a également prévu de réinstaurer l’obligation de conservation des biens d’investissement inscrits dans un compte d’immobilisation pendant 5 ans et d’élargir le champ d’application de la TVA pour appréhender le commerce numérique. De même, d’autres mesures prévues concernent la révision du traitement de la TVA sur les biens d’investissement acquis par les établissements d’enseignement ou de formation professionnelle et l’institution du principe de la solidarité des dirigeants d’entreprises en matière de TVA.
En outre, afin d’harmoniser et de clarifier les bases d’assiette de la TVA, le PLF 2024 a prévu des mesures clarifiant l’application de la TVA sur les opérations de location portant sur les locaux à usage professionnel non équipés. De même, la sanction applicable en cas de dépôt hors délai d’une déclaration créditrice en TVA, a été alignée avec les sanctions appliquées aux autres déclarations déposées hors délai. De même, pour éviter la double taxation en matière de TVA, il est prévu une exonération de cette taxe à l’intérieur, sans droit à déduction, pour les redevances et droits de licence dont la valeur est incluse dans la base d’imposition de la TVA à l’importation.
Concernant l’IR, le PLF de 2024 a proposé d’élargir le droit de déduction, de la base imposable de l’IR professionnel, des cotisations sociales des professionnels, travailleurs indépendants et des personnes non salariées soumis à l’IR selon le régime du résultat net réel ou simplifié.
Par ailleurs, le PLF a prévu d’autres dispositions visant la préservation des droits des contribuables et la consolidation de la confiance entre eux et l’administration fiscale. Les mesures prévues, dans ce cadre, concernent l’institution du droit à l’erreur pour permettre aux contribuables de rectifier spontanément les irrégularités de leurs déclarations fiscales, relevées par l’administration fiscale.
Parallèlement, il est prévu de réinstaurer, de manière dérogatoire, au titre de l’année 2024, la régularisation volontaire de la situation fiscale antérieure des contribuables comme prévu par la LF de 2020. Ces mesures concernent, également, l’amélioration et la simplification de la procédure d’examen de l’ensemble de la situation fiscale des contribuables et la simplification de la procédure relative à l’abus de droit en supprimant le recours devant la commission consultative du recours pour abus de droit, afin de maintenir un seul niveau de recours devant la commission nationale du recours fiscal.
En ce qui concerne les objectifs relatifs à la fiscalité des collectivités territoriales et aux taxes parafiscales, aucune mesure concrète de la réforme fiscale d’ensemble n’a été prévue comme prescrit par la loi-cadre précitée.
Au vu de ce qui précède, tout en notant la poursuite, par le gouvernement, de la mise en œuvre de la loi-cadre n°69-19 portant réforme fiscale, la Cour réitère ses recommandations émises dans le rapport annuel 2021, relatives à 1) la poursuite des efforts de la mise en œuvre de la réforme relative à l’IR, tout en lui fixant des échéanciers à l’instar de l’IS et de la TVA, et tout en communiquant sur l’impact budgétaire des changements effectuées ou prévus ; 2) l’activation de l’élaboration et de l’exécution d’une feuille de route pour la mise en œuvre de la réforme relative à la réforme de la fiscalité des collectivités territoriales et de la parafiscalité ; et 3) la réalisation d’une évaluation régulière de l’impact socio-économique des avantages fiscaux octroyées afin d’orienter les décisions quant à leur maintien, leur révision ou leur suppression selon le cas.
En outre, la Cour a recommandé de réaliser une évaluation de l’impact attendu des modifications programmées en matière de TVA, sur les niveaux des prix et de communiquer au sujet de cette évaluation.