En 2022, les recettes budgétaires nettes recouvrées par l’Administration des Douanes et des Impôts Indirects (ADII) ont atteint 100 Mds de DH, ce qui représente 42% des recettes fiscales de l’Etat (252 Mds de DH). De ce fait, la gestion du recouvrement des créances de l’ADII revêt une importance particulière eu égard aux impératifs de mobilisation de ressources financières additionnelles pour le financement des politiques publiques. Que révèle le rapport annuel de la Cour des comptes ?
Considérant cette importance et compte tenu du niveau record des restes à recouvrer de l’ADII ayant atteint 697 Mds de DH DH (dont 97% d’amendes et de condamnations pécuniaires), à fin 2021, la mission de contrôle réalisée par la Cour des comptes a couvert le suivi du recouvrement des créances douanières, leur recouvrement forcé ainsi que le recouvrement des amendes et condamnations pécuniaires (ACP), sur la période 2017 – 2021.
Concernant le suivi du recouvrement des créances douanières, la Cour a constaté la faible fiabilité des données sur les restes à recouvrer de l’ADII en raison du caractère manuelle de la préparation des situations trimestrielles de suivi du recouvrement. De ce fait, les montants des restes à recouvrer arrêtés en début d’année diffèrent de ceux arrêtés à la fin de l’année précédente.
De même, le système d’information BADR ne contient toujours pas certaines fonctions qui permettent d’alerter les receveurs sur le respect des délais légaux de prescription, celles relatives à l’exécution de certaines opérations, comme les décisions d’admission en non-valeur des créances d’un même redevable à la suite des diligences effectuées par d’autres receveurs, ou encore l’existence d’autres créances vis-à-vis d’autres comptables lors du traitement du trop-perçu dû à un même redevable.
De plus, les objectifs et les indicateurs de performance du recouvrement, ayant fait l’objet de contractualisation entre la direction générale des douanes et les directions régionales, ne sont pas déclinés au niveau des directions préfectorales et des structures administratives qui relèvent d’elles, à savoir les divisions, les services et les bureaux, comme prévu par la procédure de contractualisation. En outre, la contractualisation de la performance du recouvrement repose sur un nombre limité d’indicateurs, à savoir : le taux d’admission en non-valeur, le taux de régularisation des comptes d’imputation provisoires et le taux des créances payées par voie électronique.
De même, elle ne couvre pas toutes les procédures de recouvrement forcé, comme la vente des fonds de commerce et des biens meubles.
Concernant le recouvrement forcé des créances douanières, il a été constaté que plusieurs administrations et institutions qui détiennent des informations importantes, comme la Trésorerie générale du Royaume, la direction des entreprises publiques et de la privatisation, et l’office national de l’électricité et de l’eau potable demeurent en dehors du champ des partenariats noués par l’ADII. Cette situation prive l’ADII de la possibilité d’exploiter des informations pertinentes susceptibles d’améliorer les chances de recouvrement de ces créances.
S’agissant de la mise en œuvre des procédures de recouvrement forcé, les receveurs de l’ADII font face à des difficultés dans la notification des redevables en raison du manque d’informations les concernant, notamment leurs adresses. En outre, la mise en œuvre de la procédure d’avis à tiers détenteur (ATD), prévue par les articles 100 à 104 du code de recouvrement des créances publiques, rencontre des difficultés pratiques liées principalement au respect, du principe de la progressivité des actes de recouvrement forcé, prévu par l’article 39 du code de recouvrement, ainsi qu’à l’obligation de sa notification et aux formalités de cette notification.
Par ailleurs, les procédures de saisie et de vente des biens font face à certaines contraintes qui consistent, lors de la mise en œuvre de la procédure, dans le manque d’informations sur les biens des redevables, et lors des phases finales de la procédure, dans la difficulté d’application des procédures judiciaires et du faible intérêt manifesté par les acheteurs à l’égard des biens mis en vente, notamment immobiliers.
Pour ce qui est du recouvrement des amendes et condamnations pécuniaires (ACP), les restes à recouvrer ont continué à s’alourdir, sur la période 2017-2021, pour atteindre 675 Mds de DH (97% du total des restes à recouvrer d’un montant de 697 Mds de DH). Le niveau atteint est très élevé dans la mesure où il représente plus de 3 fois les recettes fiscales nettes réalisées en 2021.
Le reste à recouvrer des ACP concerne principalement des jugements prononcés dans des affaires de nature particulière (526 Mds de DH, soit 78% du total des RAR), qui concernent une catégorie, différente des contribuables des administrations fiscales, qui est celle des personnes incriminées par les tribunaux répressifs pour certains délits de droit commun.
Les ACP prononcées dans le cadre de ces affaires se caractérisent par des sommes ayant atteint des niveaux très élevés, difficile à mettre en exécution. A ce sujet, la Cour a recensé, au 31 décembre 2021, 275 amendes et condamnations se rapportant à des affaires dont le montant est supérieur à 100 MDH pour un total de 516 Mds de DH, soit presque 76% du total des restes à recouvrer d’ACP.
D’ailleurs, le caractère élevé des ACP prononcées au profit de l’ADII est dû, dans une large mesure, au niveau élevé des amendes fixé par le code des douanes et des impôts directs. Néanmoins, en dépit de cela, en l’espace de vingt-deux ans, le niveau de l’amende pour les délits douaniers n’a été modifié qu’une seule fois en 2013. De même, le caractère élevé du niveau des amendes concerne également les infractions de change prévues par le Dahir du 30 août 1949 relatif à la répression des infractions de change ayant connu également très peu de modifications depuis son entrée en vigueur.
Ainsi, le recouvrement des ACP est pratiquement nul. En effet, le recouvrement par rapport au reste à recouvrer est en moyenne de l’ordre de 0,041% sur la période 2017 – 2021.
Eu égard à ce qui précède, la Cour a recommandé de revoir le régime des sanctions prévues par le code des douanes et des impôts indirects pour les délits douaniers à la lumière des meilleures pratiques internationales, en concertation et en coordination entre toutes les parties prenantes, en l’occurrence l’ADII, la présidence du ministère public et le ministère de la justice, ainsi que la revue du régime de répression des infractions de change pour le mettre en conformité avec la constitution.
Elle a recommandé, également, de procéder à une refonte globale du code de recouvrement des créances publiques pour tenir compte des évolutions technologiques et profiter des avantages qu’elles offrent pouvant augmenter les niveaux de recouvrement. La Cour a préconisé, aussi, d’étudier la possibilité d’annuler, par la loi de finances, les créances anciennes relatives aux ACP dont l’irrécouvrabilité est certaine.
Elle a, enfin, recommandé au ministère de l’économie et des finances de coordonner avec toutes les entités détentrices d’informations, sur les biens des redevables, dans le cadre du droit de communication (Trésorerie générale du Royaume, Direction des entreprises publiques et de la privatisation, Office national de l’électricité et de l’eau potable …,) et ce en vue de simplifier les procédures d’échange de façon automatisée et numérisée , et d’accélérer l’informatisation des processus de suivi du recouvrement et activer le chantier de fiabilisation des données en procédant à une revue générale des données gérées dans les systèmes d’information et les données manuelles.