Ecrit par Soubha Es-Siari I
En parallèle avec les contraintes auxquelles est confrontée la finance publique, il importe de souligner les problématiques majeures liées à la pérennité des fonds de retraite. Malgré son caractère urgent, ce chantier n’a pas connu de progrès depuis la réforme paramétrique de 2016 même si le gouvernement avait déjà annoncé son intention d’entamer cette réforme structurelle au cours du premier semestre de 2023.
A l’occasion de chaque conseil d’administration de la Caisse marocaine des retraites (CMR), présidé par l’argentier du royaume, l’urgence de la réforme systémique s’érige en priorité. Mais valeur aujourd’hui, les prémices de cette réforme ne sont pas toujours visibles. La réalité de nos finances publiques à l’aune de cette succession de crises aussi sévères les unes que les autres serait-elle à l’origine du report sine die de la réforme (en deux pôles), tant attendue du régime de retraite au Maroc ?
A rappeler que la seconde phase du chantier titanesque qu’est la généralisation de la couverture sociale sera étalée de 2024 à 2026 et assignée à l’indemnité pour perte d’emploi (IPE) et à l’extension de la retraite.
Le projet relatif à l’extension de la retraite remet en selle un autre projet de taille relatif à la réforme des régimes de retraite sur lequel ne filtre aucune information. Il s’agit plus explicitement de l’étude relative à la réforme systémique de la retraite (deux pôles public et privé) confiée le 5 octobre 2018 au cabinet Finactu à l’issue d’un appel d’offres lancé par le ministère de l’Economie et des finances.
Cette étude scindée en 4 phases n’est en fait que l’instrument d’aide à la décision pour la réforme globale des régimes de retraite (suite à la réforme paramétrique de la CMR).
Cette réforme paramétrique intervenue en 2016 a permis d’équilibrer la tarification de la Caisse Marocaine de retraite au titre des droits acquis après 2017. Toutefois, l’importance des engagements du régime au titre des droits acquis avant la réforme pèse toujours avec un épuisement des réserves projeté pour 2025.
A l’occasion de l’élaboration de la Loi de Finances 2023, le gouvernement avait encore annoncé qu’il y aura un dialogue avec les syndicats au mois de mai 2023 pour définir les grandes lignes de la réforme. Pratiquement un an après, c’est le silence radio.
Malgré l’urgence de la situation, la 18e réunion du Comité de Coordination et de Surveillance des Risques Systémiques (CCSRS), qui date de fin décembre 2023, n’a pas évoqué la situation du secteur de la retraite, et ce contrairement aux réunions précédentes. Sachant que lors de la 17e réunion (un an avant), le comité avait bien rappelé que les principaux régimes de base continuent de connaitre une situation financière difficile marquée globalement par l’importance de leurs dettes implicites et par l’épuisement de leurs réserves à divers horizons.
En 2021, les réserves de la CMR ont diminué de 10,7 Mds de DH par rapport à 2019. Selon les prévisions, elles sont menacées d’épuisement en 2025 (donc dans un an).
Chaque jour qui passe, des millions de DH s’évaporent pour nos caisses de retraite. C’est pour dire que le système des retraites au Maroc est de plus en plus dans une situation catastrophique voire chaotique.
A ce titre, dans son dernier rapport 2022-2023 publié au mois de décembre, la présidente de la Cour des Comptes, Zineb Al Adaoui a émis comme recommandation la nécessité d’accélérer l’engagement effectif dans la réforme structurelle du système de retraite, en soulignant que tout retard dans cette réforme complique la situation dudit système et accroît les risques qui pèsent, de plus en plus, sur le budget de l’État à moyen et long terme.
Il faut d’ailleurs mener la réforme systémique sur un horizon de dix ans tout en établissant des passerelles entre le public et le privé pour aboutir in fine un seul pôle de retraite.
Encore faut-il rappeler que si on n’arrive pas à régler deux grands problèmes, on continuera à tourner en rond. Comme un serpent qui se mord la queue, il sera pernicieux de sortir de ce cercle vicieux et mener à bon escient la réforme.
Le premier c’est d’assurer la rentabilité des caisses de retraite notamment en matière de placement. Le second et pas des moindres c’est que nous ne pouvons réussir la réforme au dépend des fonctionnaires ( augmentation des cotisations, report de l’âge de départ à la retraite, diminution de la pension…).
Ajoutons à cela que l’autre grand problème des caisses de retraites, c’est que depuis 1959 jusqu’aux années 90, l’Etat n’a pas payé ses cotisations. Il s’agit d’un manque à gagner estimé à 25 Mds de DH.
Vaille que vaille, 2024 devra être une année de réforme. Autrement dans un avenir proche, l’Etat serait dans l’incapacité d’honorer ses engagements et payer les pensions des fonctionnaires qui ont cotisé pendant plus d’une vingtaine d’années. Et pour cause, on a déjà commencé à toucher dans les capitaux de certaines caisses de retraite. Ce qui ne peut occulter qu’un risque de faillite financière plane. L’année 2024 devra donc être cruciale pour la réforme du système, une réforme pérenne et durable.