Écrit par Soubha Es-Siari I
La pression fiscale prend-t-elle en otage la croissance économique du Maroc ? Dans un contexte marqué par une forte inflation, la fiscalité grève les revenus aussi bien des ménages que des entreprises à telle enseigne que l’on se demande si une fois la réforme fiscale achevée, le Maroc parviendra-t-il enfin à vaincre cette pression fiscale ou du moins à améliorer son rang sur l’échiquier mondial.
A l’occasion de chaque débat économique sur comment sortir des sentiers battus d’une croissance faible fortement dépendante des aléas climatiques, la solution idoine avancée pour générer des ressources financières supplémentaires est celle relative à l’élargissement de l’assiette fiscale, pilier de la justice fiscale universelle. Le constat est unanime : les équipes se succédant au pouvoir tendent à toujours taxer les mêmes catégories (entreprises et salariés), alors qu’un pan entier des revenus imposables échappe toujours au fisc.
Aussi, sur un autre registre, la pression fiscale au Maroc reste importante comparativement à des pays à développement comparable.
Sur la base de la loi cadre n°69-19 portant réforme fiscale et des orientations des assises de la fiscalité en mai 2019, le gouvernement avait exprimé sa volonté d’effectuer une révision du barème progressif de l’Impôt sur le revenu (IR) des personnes physiques en vue d’améliorer le pouvoir d’achat des ménages. Inutile de rappeler que pour cette catégorie des ménages, la pression fiscale est étouffante. Aujourd’hui elle est foncièrement renforcée par une pression inflationniste qui n’est pas prête à se dissiper. Ce chantier tant attendu par les fonctionnaires et les salariés du secteur privé est le dernier axe de la loi-cadre n°69-19 portant réforme fiscale devant être appliqué dans un délai de 5 ans après son entrée en vigueur soit avant août 2026.
Le chef de gouvernement s’est engagé récemment devant les syndicats à entamer ce dialogue avant la fin de 2023. Le but ultime est de parvenir à un accord sur la révision du barème de l’IR avant mars 2024 pour une application progressive sur les prochaines années. A l’instar des autres impôts TVA et IS, la baisse sera progressive pour ne pas affecter brutalement les recettes de l’État.
Dans un contexte de raréfaction des ressources financières, l’État est appelé à jouer aux équilibristes et à gérer le budget en bon père de famille pour honorer ses engagements sociaux, ne pas altérer son rôle d’État social qu’il souhaite renforcer et surtout ne pas s’endetter à tours de bras pour faire face aux besoins sans cesse grandissants de la population.
La question qui demeure posée : est-ce que suite à la révision du barème de l’IR, le Maroc verra-t-il sa pression fiscale se réduire ou continuera-t-il à occuper les premiers rangs en la matière ? Il serait hasardeux d’espérer une réelle avancée tant que l’équité fiscale n’est pas assurée. La pression fiscale étant également déséquilibrée entre le travail et le capital. L’impôt sur la fortune ne semble pas soucier ou faire sourciller le gouvernement actuel et ce à l’instar de ses prédécesseurs. Au moment où certains considèrent que l’impôt sur la fortune pourrait aboutir à une baisse de l’investissement avec toutes les conséquences qui en découlent, d’autres par contre craignent l’encouragement de l’évasion fiscale.
A ce titre et vu les circonstances actuelles marquées par un rétrécissement des marges de manœuvre, il faut bien que le gouvernement innove et invente le meilleur dispositif qui soit pour un prélèvement personnalisé de l’impôt sur le revenu pour cette catégorie dont les situations semblent hétérogènes.
Nous ne pouvons bien entendu parler de pression fiscale sans aborder le chapitre relatif aux dépenses fiscales qui depuis belle lurette profitent aux mêmes secteurs. Ces dépenses fiscales ne sont autres que des dispositions législatives ou réglementaires qui dérogent à une « norme fiscale ». Elles constituent un enjeu fiscal important dans la mesure où elles réduisent les recettes de l’État, constituant ainsi un coût pour le Trésor.
Les dépenses fiscales ne sont autres que des dispositions législatives ou réglementaires qui dérogent à une « norme fiscale », ces dérogations constituent un enjeu fiscal important dans la mesure où elles réduisent les recettes de l’Etat et constituent donc un coût pour le Trésor . Ces dérogations peuvent revêtir d’autres dénominations telles que « subventions fiscales », « aides fiscales » ou encore « niches fiscales ».
« Le nombre de mesures recensées qualifiées de dépenses fiscales est passé de 311 en 2022 à 292 en 2023. Parmi ces mesures, 251 ont fait l’objet d’évaluation en 2023 soit 85,9% des mesures recensées », apprend-on dans le rapport sur les dépenses fiscales accompagnant le PLF2024.
Le montant global des dépenses fiscales correspondant a diminué de (-2 523 MDH) entre 2022 et 2023 passant de 37.957 MDH à 35.434 MDH, en raison de la baisse des dépenses fiscales relatives à l’IS (-3.176 MDH) », révèle la même source.
En revanche les dépenses fiscales afférentes à la TVA et les TIC ont enregistré une hausse respectivement de l’ordre de (+764 MDH) et (+406 MDH).
« Les dépenses fiscales enregistrées en 2023 sont attribuables notamment, au secteur de la sécurité et de la prévoyance sociale (21,1%), au secteur de l’électricité et du gaz (20,7%) et au secteur immobilier (12,1%) », selon le même rapport.
Faute d’évaluation des dépenses fiscales sur les secteurs qui ont en bénéficié, leur enjeu demeure sujet à plusieurs interrogations. Oxfam avait d’ailleurs publié un rapport intitulé : « Les exonérations fiscales, le manque à gagner : agriculture, immobilier et enseignement privé ». Mettant sous sa loupe ces trois secteurs, l’ONG révèle que lesdits secteurs n’affichent en réalité aucune situation justifiant les dépenses fiscales qui leur ont été accordées des années durant.
On n’aura cessé de le dire, le Maroc ne peut se limiter à évaluer le manque à gagner d’une exonération ou d’une dépense fiscale, mais d’étudier en profondeur son impact sur le tissu économique en matière de création de valeur ajoutée et de richesses. C’est à partir d’un tel diagnostic qu’il serait décidé ou pas de reconduire une mesure ou de mettre un terme.
C’est aussi à partir de ce diagnostic que l’État pourra élargir son assiette fiscale tout en allégeant la pression fiscale sur le tissu économique mais également sur les ménages, deux composantes essentielles de la demande interne.
La comparaison entre la part des dépenses fiscales et le déficit budgétaire lance constamment la réflexion sur la nécessité de remédier à ce manque à gagner dans un contexte fort contraignant où le Maroc a lancé le défi d’organiser deux coupes de football en 2025 et 2030, fortement consommatrices en infrastructures sportives, routières, touristiques…
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