Ecrit par Imane Bouhrara I
C’est un séminaire d’information très animé que celui dédié à la mise en œuvre de la Loi 69-21 relative aux délais de paiement. Organisé par la CGEM en présence de la DGI et de l’OEC, la rencontre a été l’occasion de soulever toutes les zones d’ombre de l’application de la loi et de la circulaire 734. Détails.
En 2021, le crédit inter-entreprises s’établissait à 375 Mds de DH et il a dû exploser et dépasser les 400 Mds de DH, dont un tiers hors délai légal.
Le Délai de paiement est en moyenne de 213 jours. Par catégories, ce délai est de 243 jours soit plus de 8 mois pour les TPE, de 115 jours (4 mois) pour les PME et pour les GE de 83 jours. Ces délais restent extrêmement élevés depuis plusieurs années, souligne Chakib Alj, président de la CGEM.
Ouvrant le séminaire organisé par la confédération pour présenter en détails les différentes dispositions de cette loi et apporter des éclaircissements sur son application, Chakib Alj a cité deux facteurs pouvant expliquer cette situation : d’une part la composante comportementale inhérente à l’entreprise et d’autre part l’ancienne version de la loi qui présentait plusieurs incohérences difficiles et pénalisantes pour les entreprises notamment le dilemme de dénoncer un client au risque de le perdre. Et le risque s’accentuait si des intérêts sont en sus facturés. Sans oublier le risque de redressement si intérêt non facturé…
Loi 69-21 relative aux délais de paiement est intervenue pour sortir de cet engrenage sans fin. Un texte concerté que le président de la CGEM juge judicieux dans le sens où il a fait l’objet de concertations mais aussi parce qu’il introduit trois principes : la progressivité par catégories d’entreprises pour créer un ruissèlement de paiement, le principe de l’auto déclaration avec un tier de confiance et un contrôle DGI et la mobilisation des intérêts de retard versés au service du fonds de soutien PME.
« Ce texte est un départ de concertations continues avec la DGI et s’il y a lieu de faire des changements, on le fera… », explique Chakib Alj.
Ce séminaire a constitué une bonne occasion pour Younès Kaitouni , Directeur Général de la Direction Générale des Impôts (DGI) d’expliciter ce changement de paradigme qu’implique la nouvelle loi mais aussi la circulaire 734.
« On part du principe que nous sommes partenaires dans cette réforme pour aider les entreprises à travailler dans un climat beaucoup plus simple. La loi est entrée en rigueur le 1e juillet et les premières déclarations sont attendues d’ici fin octobre. On a retardé la circulaire pour recueillir toutes les interrogations avant de la publier la semaine dernière. Nous sommes là pour en discuter plus amplement et essayer de répondre aux interrogations des opérateurs pour trouver ensemble les réponses nécessaires », soutient-il en s’adressant à l’assistance.
Il a réitéré un principe important qui préside aux relations entre les différents intervenants, celui de la confiance.
Selon lui, l’un des objectifs de la loi est de rompre définitivement avec le crédit fournisseur qui serait-il moins cher que le crédit bancaire.
« Les tiers de confiance ont également un rôle dans cette nouvelle configuration pour assainir davantage le climat des affaires et consolider encore plus la confiance qui devrait animer l’entreprise et l’administration fiscale », a-t-il précisé.
Même son de cloche du côté de Faïçal Mekouar, président de l’Ordre des Experts-comptables qui alerte sur les niveaux élevés du crédit interentreprises au Maroc qui caracole les 28% en 2023 par rapport à l’ensemble des crédits des entreprises, comparativement aux 11% en France à titre d’exemple.
Cela étant, l’obligation de la déclaration par le débiteur lui-même introduite par la loi sur les délais de paiement et cette progressivité également qui concerne les GE puis les autres entreprises, sont autant d’apports pour créer une boucle vertueuse, soutient Faïçal Mekouar.
« En tant que président de l’ordre des experts-comptables (OEC) et chef d’entreprise, aussi imparfait soit-il, ce texte consacre l’état de droit et un soutien de plus à la trésorerie de l’entreprise et l’atténuation d’une cause de mortalité d’entreprise… », poursuit-il.
En matière de diligence la loi est venue consacrer l’Expert-comptable comme tiers de confiance dans la déclaration que doit faire l’entreprise avec à la clé une mission de vérification.
« Bien entendu, l’Expert-comptable doit mener des diligences qu’il estime nécessaire dans le cadre de la directive de l’OEC et par la suite formuler un visa, avec ou sans observations. Il peut même accompagner l’entreprise à sa demande pour une meilleure application de la loi », précise le président de l’OEC.
Et comme attendu, Younès Kaitouni a été assailli de questions : provision des factures non parvenues, paiements par compensation, liquidation du stock antérieur à l’effectivité de la loi…
Des interrogations concernant notamment les délais extrêmement importants de l’Etat qui peuvent aller au-delà de 8 mois dont souffrent les importateurs de céréales ou encore la question du crédit TVA qui n’ont pas de date fixe de paiement.
Une question posée également par les entreprises du BTP, notamment le problème de vérification de l’exécution du travail fait ou les attachements y afférents qui prennent plus de 6 à 7 mois. Egalement la problématique des Entreprises et Etablissements publics (EEP) qui souvent n’ont pas de budget pour payer les entreprises puisqu’ils attendent la fin des travaux pour l’exécution du règlement. Cela se traduit par des délais allant jusqu’à trois ans.
L’occasion pour Younès Kaitouni de confirmer que la loi concerne les relations commerciales interentreprises et ne couvre pas les marchés publics et la relation entre Etat et entreprises.
Il faut croire que plus que d’apporter des réponses à des cas particuliers, le DG de la DGI a beaucoup insisté sur le fait que l’administration fiscale est à l’écoute des entreprises et que la loi n’est pas figée dans le marbre.
« On se pose des questions légitimes et personne ne va remettre en cause le principe d’équité. Une fois la circulaire publiée, on commence à recueillir d’autres déclarations », soutient-il. Ainsi, une veille sur l’application de la loi permettra de voir les ajustements à apporter ou carrément passer par le législateur. Toutefois, comme tout fait nouveau, il y a des interrogations qui se dissiperont avec le temps. On est au tout début et tout le monde est animé par la plus grande volonté possible », rassure-t-il.
Pour sa part, Faïçal Mekouar estime que pur toute nouvelle loi, il y a une phase d’apprentissage à vivre, tout en insistant que ce n’est pas la loi qui doit s’adapter à l’organisation, mais à l’organisation de s’adapter à la loi. C’est ainsi que la situation évoluera.